Les AMEP en France: Court-Circuiter le marché de l’énergie ?
Clotilde Grassart and
Adèle Sébert ()
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Clotilde Grassart: Université de Lille, CLERSÉ - Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques - UMR 8019 - Université de Lille - CNRS - Centre National de la Recherche Scientifique
Adèle Sébert: URCA - Université de Reims Champagne-Ardenne, CRIEG - Centre de Recherche Interdisciplinaire Economie Gestion - MSH-URCA - Maison des Sciences Humaines de Champagne-Ardenne - URCA - Université de Reims Champagne-Ardenne, REGARDS - Recherches en Economie Gestion Agroressources Durabilité et Santé - CRIEG - Centre de Recherche Interdisciplinaire Economie Gestion - MSH-URCA - Maison des Sciences Humaines de Champagne-Ardenne - URCA - Université de Reims Champagne-Ardenne
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Abstract:
Cette communication propose d'interroger les évolutions du marché de l'énergie en France à partir de ses marges. En particulier, elle s'intéresse aux conditions d'émergence des Associations pour la Mutualisation d'une Énergie de Proximité (AMEP) en tant que réponse citoyenne à la crise énergétique actuelle. L'un des principaux stigmates de la crise énergétique en France est le poids que les variations des prix des énergies fait peser sur les ménages considérés comme précaires énergétiques. Depuis la loi Grenelle II de 2010 en France, la précarité énergétique est considérée comme un problème public et fait l'objet de plusieurs catégories d'actions : fourniture, rénovation, lutte contre la pauvreté et l'exclusion (Sébert, 2022). Toutefois, les solutions publiques apportées en France semblent insuffisantes pour réguler le marché de l'énergie de sorte que l'ensemble des consommateurs et consommatrices soient en mesure de disposer de la fourniture d'énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires. Ce contexte institutionnel est alors propice au développement d'une réponse citoyenne, une troisième voie à côté du marché et de l'État, porteuse d'innovations sociales. A fortiori, la production d'énergie renouvelable (EnR) est en phase d'institutionnalisation en Europe, notamment en France, depuis une dizaine d'années sous la bannière « communauté énergétique ». Cela regroupe une variété de modèles socioproductifs allant de l'habitat participatif, aux opérations d'autoconsommation individuelle ou collective (OACC), en passant par les coopératives de consommation et les coopératives citoyennes (Debizet, 2023). Ces modes d'organisation citoyens autour de la production et de la consommation des énergies renouvelables à l'échelle locale apparaissent comme des solutions territorialisé à distance des pouvoirs publics (Poupeau, 2010) qui ambitionnent de favoriser les délibérations collectives dans un contexte de transition écologique (Ballon & Artis, 2024). D'un point de vue académique, la littérature internationale et pluridisciplinaire sur ces objets témoigne de la diversité de ces modèles, tant du point de vue de ce qui les motive que de leur organisation et de leurs impacts : interrelations territoriales, gouvernance, accompagnement des acteurs, rôle du prosumer, capacité transformatrice et inscription dans la transition sociale et écologique (Pappalardo, 2021). En France, schématiquement les projets qui s'inscrivent dans ces dynamiques sont distingués avec d'un côté les coopératives énergétiques citoyennes, et de l'autre les OACC (Debizet & Pappalardo, 2021 ; Lormeteau, 2023). D'un point de vue institutionnel, la Commission européenne porte un intérêt à ces différents types de projets depuis la fin des années 2010, dans le cadre du paquet « Énergie propre ». Cette régulation s'opère à la fois en raison de la concurrence en matière de fourniture d'énergie (électricité et gaz) et en raison des liens entre thématiques énergétiques et environnementales, invitant à développer les énergies renouvelables, à réduire les consommations d'énergie et leur impact carbone. Outre leurs spécificités, la production et la fourniture d'énergie dans ces projets, en communauté énergétique ou en autoconsommation, n'ont pas pour objectif premier la réalisation d'un profit, mais visent à apporter des solutions environnementales, économiques et sociales collectives aux défis énergétiques actuels. Pour le cas de la France, l'autoconsommation collective existe depuis la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, les OACC ayant fait l'objet de ramifications juridiques à plusieurs reprises, en lien avec la législation relative au photovoltaïque (Fonteneau, 2021). Cette dynamique solidaire et écologique, marquée par le contexte institutionnel actuel, est notamment à l'origine de la création des Associations pour la Mutualisation d'une Énergie de Proximité (AMEP) en France, présentées par leurs protagonistes comme des AMAP de l'énergie. Ce modèle, qui a vu le jour en 2022 dans les Bouches-du-Rhône, consiste à mettre en relation des voisins et des voisines consommant et produisant de l'électricité pour créer un circuit court d'énergie renouvelable. D'un point de vue technique, l'autoconsommation recherchée par les particuliers avec l'installation de panneaux solaires peut générer un surplus d'électricité lorsque celle-ci, n'étant pas stockable, n'est pas consommée. Dans ce cas, ce surplus est réinjecté dans le réseau d'électricité d'Enedis. Le modèle des AMEP s'appuie sur des OACC de manière à permettre à d'autres consommateurs et consommatrices à proximité de bénéficier gratuitement de ce surplus d'électricité. En France, il existe aujourd'hui 13 AMEP en service. Elles sont organisées en réseau et se reconnaissent dans une charte commune autour de quatre principes : (i) lien social (favoriser les relations sociales de proximité), (ii) éducation (développer de la connaissance sur l'énergie et promouvoir la sobriété énergétique), (iii) gratuité (la distribution du surplus d'énergie renouvelable n'est pas monnayable et se fait sous forme de don) et (iv) solidarité (tout ou partie du surplus est donné à des consommateurices précaires énergétiques ou à une organisation de l'économie sociale et solidaire). L'accompagnement à la création par les fondateurices de la première AMEP française est ainsi conditionné au respect de ces principes, en particulier des principes de gratuité et de solidarité. Dès lors, la définition d'une charte commune et le choix d'organiser ces différents projets en réseau témoignent d'une volonté d'autonomie qui passe par des formes de clôtures et d'édification de frontières vis-à-vis d'autres conceptions et modalités de la production, de la distribution et de la consommation d'énergie. À partir d'une analyse de la littérature grise et de la littérature académique, des évolutions marchandes et institutionnelles actuelles et à l'appui d'entretiens semi-directifs avec les membres à l'origine des AMEP, la communication propose d'étudier ces configurations technico-institutionnelles à l'aune de leurs conditions d'émergence et de leur fonction critique vis-à-vis des dynamiques économiques et institutionnelles dominantes sur le marché de l'énergie (Lamarche, et al., 2021 ; Lamarche & Richez-Battesti, 2023). En ce qu'elles expriment des visions alternatives du futur, les nouvelles règles et pratiques dont les AMEP sont porteuses visent à dépasser les contraintes techniques pour faire coexister projet politique et projet productif. À partir de ce cas particulier d'OACC, la communication s'intéresse à la manière dont ces modèles socioproductifs, en plus de bousculer et de brouiller les frontières entre production et consommation, participent également à modifier l'offre, à interroger la construction des prix sur le marché de l'énergie par l'instauration d'un principe de gratuité, et à signifier que d'autres modalités de la production, de la distribution et de la consommation sont possibles (et pour eux et elles souhaitables). Bibliographie Ballon, Justine et Amélie Artis (2024). Construire un commun d'énergie renouvelable. Analyse de trois projets en codéveloppement, Revue de l'organisation responsable, vol. 19, n 3, pp. 63-82. Debizet, Gilles (2023). Les communautés énergétiques, par delà le marché unique, L'Économie politique, n 97, pp. 80-91. Debizet, Gilles et Marta Pappalardo (2021). Communautés énergétiques locales, coopératives citoyennes et autoconsommation collective : formes et trajectoires en France, Flux, n 126, pp.1-13. Fonteneau, Thibaut (2021). Autoconsommation collective ou solidarité nationale ? L'adaptation controversée de la tarification du réseau d'électricité pour les autoconsommateurs, Flux, n 126, pp. 52-70. Lamarche, Thomas, Pascal Grouiez, Martino Nieddu, Jean-Pierre Chanteau, Agnès Labrousse, Sandrine Michel et Julien Vercueil (2021). Saisir les processus méso : une approche régulationniste, Économie appliquée, vol. 1, pp. 13-49. Lamarche, Thomas et Nadine Richez-Battesti (2023). Produire est politique : les coopératives, levier de transformation, Revue de la régulation, n 34, sans pagination. Lormeteau, Blanche (2023). Autoconsommation collective en électricité et communautés énergétiques, l'énergie comme un « commun » ?, Revue juridique de l'environnement, vol. 48, Hors-Série n 22, pp.371-378. Pappalardo, Marta (2021). Un webinaire international sur les communautés énergétiques : débats et recherches, de l'université à la société, Flux, n 126, pp. 77-91. Poupeau, François-Matthieu. (2010). Central-local relations in French energy policy making and the environmental shift : towards a new pattern of governance between State and local authorities ?, SciencesPo Working Paper, n 19, 16p. Sébert, Adèle (2022). Qualifications et prises en charge de la précarité énergétique : une analyse économique institutionnaliste, Université de Lille, Thèse de doctorat en sciences économiques.
Date: 2025-09-11
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Citations:
Published in Économie sociale, Vieillesses et Vieillissements – 44e Journées de l’AÉS, Sep 2025, Châlons-en-Champagne, France
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